Je ne le savais pas encore à ce moment-là, mais des gens ont dit avoir entendu une forte explosion à 15h36 au sud-est du lycée de Tsushima. Parmi les évacués il y avait plusieurs groupes différents de personnes : ceux qui avaient quelque information, d’autres qui ne savaient rien, et d’autres encore qui chuchotaient entre eux.
Presque la moitié de tous les habitants de Namie se retrouvait au centre d’évacuation. Ne recevant pas d’information, nous ignorions totalement que des ondes radioactives dues à l’explosion d’hydrogène étaient en train de se propager directement vers l’endroit où nous étions. Aucune alerte concernant les radiations n’avait été émise par notre ville, ni par la préfecture. Nous avions évacué, mais nous n’étions pas du tout préparés à affronter une éventualité autre qu’une situation normale. Nous ne savions pas, purement et simplement, comment faire.
Pour diner nous avions une boule de riz de la grosseur d’un poing de bébé. La plupart d’entre nous n’avions pas mangé depuis le soir du 11 mars. Nous n’avions pas pu. On demandait aux gens rassemblés à l’intérieur de l’abri d’aller à l’extérieur et d’attendre en file pour recevoir une petite boule de riz. Je suppose que c’est pendant que nous attendions dehors que la radiation nous est tombée dessus. Comme elle était invisible, nous n’avons rien senti, et n’avons eu aucune peur ou inquiétude. Nous ne pourrons jamais savoir à quel niveau de radiation nous avons été exposés à ce moment-là.
Toute la zone autour du lycée de Tsushima était encore couverte de neige. Il faisait froid le soir. Nous n’avions pas de change de vêtements, et les poêles de chauffage n’étaient pas nombreux pour nous garder au chaud. Pour se protéger du froid, les gens s’enveloppaient de journaux ou bien mettaient des cartons sur le sol. Malgré cela, le froid à l’intérieur du gymnase était intense. On gelait.
Je n’avais presque pas dormi quand le jour s’est levé. Au moment de fermer les yeux, le gymnase était rempli, mais à présent, il y avait des places libres. J’ai vite compris la raison quand je suis sorti dehors : les journaux avaient été distribués. Ils titraient en première page l’explosion d’hydrogène dans la centrale numéro un (daiichi) de Fukushima le 12 mars. Je saisissais enfin ce qui s’était passé. La centrale avait explosé et une vague radioactive s’était répandue en direction de Tsushima, lieu où plus de la moitié des résidents de Namie étaient regroupés, et aussi vers Iidate. L’anxiété a grandi parmi les évacués tout au long du 13 mars, mais nous n’avions aucune information précise. Nous ne savions pas quoi faire, personne ne nous disait ce que nous devions faire.
Certains ont décidé qu’ils devaient quitter le centre d’évacuation. Progressivement et selon leur propre volonté, les évacués ont commencé à se diriger vers la ville de Fukushima. Pour ceux d’entre nous qui restaient dans le centre, nous n’avons reçu aucune information précise, aucune recommandation. Les personnes continuaient à se rendre dehors pour recevoir leur repas, et pour leurs besoins parce que les toilettes étaient inutilisables. Nous n’avions presque plus de fuel. Le 14 mars a eu lieu une autre explosion d’hydrogène au sein du réacteur 3 de la centrale nucléaire. Beaucoup d’entre nous dévoraient les nouvelles des journaux que nous recevions au gymnase. Petit à petit nous apprenions ce qui se passait, mais nous pensions encore être en sécurité puisque la centrale se trouvait à 10 kms au loin. De plus le nombre des évacués diminuait.